Après des élections présidentielles, Alpha Oumar Konaré du parti ADEMA est élu à la tête du pays. Son régime dit démocratique peut se targuer d’un excellent bilan dans les domaines des libertés publiques, de la libéralisation de l’économie, de l’urbanisation et de l’émergence d’une classe moyenne.  

Toutefois, le revers est terriblement décevant. C’est en effet sous le règne d’Alpha Oumar Konaré qu’a commencé le processus d’affaiblissement de l’État. Les droits sociaux accordés, sans réflexion stratégique, aux corps régaliens (police, magistrature, commandement territorial) permirent leur syndicalisation anarchique, source d’une nouvelle vulnérabilité de l’État et de perte d’autorité. Konaré porte également une grande responsabilité dans la déliquescence de l’outil de défense de son pays.  Avant son accession au pouvoir, l’armée malienne était l’une des meilleures de l’Afrique de l’Ouest. Par naïveté idéologique ou peur de coups d’État, son régime procédera méthodiquement au dépeçage d’un bel héritage avec le gel des programmes d’équipement, des recrutements laxistes et une féminisation prématurée.  

À l’heure des confrontations récurrentes avec les rebelles, les effets de ces mauvaises options se sont fait sentir dans la déroute et les regrets.  

Le séparatisme qui se nourrit à la fois des échecs des gouvernants et d’une sourde rancœur n’en sera pas apprivoisé. Le régime d’Alpha Oumar Konaré est aussi responsable du démantèlement du système éducatif.  

 Après une nouvelle alternance à la mode ping pong, Amadou Toumani Touré revient au pouvoir en 2002. Porté à la magistrature suprême par un puissant mouvement citoyen avide d’une gouvernance de rupture, ATT se démarquera de ses soutiens originels, une fois aux affaires, en optant pour un mode de gouvernance basé sur le consensus général et mou.  

Une sorte de « partitocratie » dépourvue de cette boussole programmatique qui donne sens et cohérence à l’action publique.  

 D’emblée, il nomme l’ancien haut-commissaire de l’OMVS, le Touareg Ahmed Mohamed ag Hamani au poste de Premier ministre. Un pari politique visant à flatter les sentiments de la communauté d’origine du nouveau Premier ministre pour apaiser la situation.  Tout Général qu’il était, ATT n’a pas été à la hauteur des efforts attendus de lui pour « réarmer l’armée », selon la formule de l’éminent journaliste Saouti Aïdara.  

Son refus persistant de muscler l’outil de défense est un des mystères de son héritage. À son actif, on doit relever néanmoins un bon bilan en terme de désenclavement et de construction d’infrastructures structurantes.  

 Les années ATT constituent un repère majeur pour comprendre la complexification de la crise du Nord.  

Il fallait donc, pour les grands dealers, trouver une nouvelle filière plus poreuse. La côte Atlantique ouest africaine fut choisie comme point idéal d’entrée compte tenu de la nature faible de certains de ses États. La Guinée Bissau (dont l’ancien chef d’état-major Antonio Indjai vient de faire l’objet d’un avis de recherches pour capture par les USA en relation avec ce trafic) et la Guinée Conakry de Lansana Conté en deviendront les plaques tournantes.  

Partant de ces côtes, l’immense désert malien a été ciblé comme une zone de transit. Le fameux épisode d’Air Cocaïne, cet avion calciné en plein désert après déchargement de sa cargaison de drogue, n’était qu’un bout d’une criminalisation généralisée de la zone.  

Cette criminalisation, qui perdure, favorisera d’autres trafics résiduels ou périphériques, comme la contrebande de cigarettes ou le trafic d’êtres humains.  

C’est durant ces années que plusieurs facteurs géopolitiques se sont accumulés pour changer la nature de la crise malienne. En effet, d’une rébellion récurrente et localisée, la situation a métastasé pour devenir un cancer de subversion généralisé.  En premier lieu, c’est l’avènement d’un corridor transsaharien de trafic de drogue qui changera la donne. Flash back : les années 1990 et 2000 ont été marquées par une guerre implacable menées par l’Agence américaine de lutte contre la drogue (DEA) contre les narcotrafiquants d’Amérique centrale et du Sud.  

S’y greffera un autre trafic plus ignoble, le « business d’otages » ; les négociations pour la libération d’otages occidentaux contre des rançons consistantes ont attiré une foule d’intermédiaires avides de gains faciles avec des ramifications insoupçonnables au niveau de certains palais de la sous-région.  

Pendant ce temps, la défaite des groupes armés en Algérie après une insurrection manquée des Salafistes a provoqué le repli vers le Sud, c’est à dire dans l’Adrar des Ifoghas, des combattants rescapés aguerris. Le gouvernement algérien, qui a infiltré au plus haut niveau les groupes terroristes présents dans le pays, a-t-il complaisamment laissé faire ce redéploiement vers le Sud ? Ce pour ne serait-ce que trois raisons : éloigner du pays une poignée d’irréductibles, garder la main sur le dossier malien dans un contexte mondial de lutte contre le terrorisme et, enfin, par crainte de heurter les sentiments de sa propre population touarègue composée du groupe des Ifoghas de Tamanrasset.  

Dans ce dossier, comme toujours, l’Algérie a une approche sophistiquée difficilement déchiffrable. Toutefois, contrairement aux idées reçues, le basculement d’une partie du Nord malien et du Centre n’est pas uniquement le fait d’envahisseurs maghrébins. Beaucoup d’habitants dans ces parties du pays ont épousé le Salafisme en y voyant un « authentique retour aux sources originelles de l’Islam ».  

La réislamisation radicale d’une partie de la société malienne, comme dans la plupart des pays musulmans d’Afrique noire, a bénéficié des pétrodollars saoudiens et du prosélytisme actif des Pakistanais.  

L’avènement en Turquie et en Egypte des pouvoirs d’obédience de la confrérie des Frères musulmans a amplifié, à l’échelle du monde islamique, le phénomène du Salafisme. Cette mutation a introduit une pluralité nouvelle chez les militants armés du Nord en termes d’objectifs et de composition démographique.   

Le basculement vers cette idéologie d’un Iyad Ag Ghali (ancienne figure titulaire du mouvement touareg autonomiste et laïc) s’explique par l’existence de ce terreau favorable, et en même temps fonde le changement des objectifs de son combat qui ne sont plus l’autonomisation ou l’indépendance de l’Azawad, mais l’islamisation de l’ensemble du pays. Certains disent aussi que c’est lors de son séjour en Arabie saoudite où il travaillait au Consulat du Mali – poste qu’il a acquis à la faveur des négociations avec le pouvoir central – qu’il aurait épousé la doctrine salafiste. La guerre de l’Occident contre le régime de Kadhafi eut également une conséquence directe sur le Mali avec le retour au bercail des supplétifs touaregs lourdement armés. L’effet cumulatif de l’ensemble de ces facteurs a fait du vaste désert Nord malien un espace incontrôlable dans lequel terroristes, rebelles et trafiquants de toutes sortes se meuvent à leur guise, entretenant des systèmes croisés d’activités criminelles.  Cette situation nouvelle a réduit considérablement les capacités régaliennes de l’État central. En 2006, le président ATT signe avec les mouvements rebelles les Accords de paix à Alger, les énièmes, avec à la clé une concession stupéfiante : la démilitarisation, autrement dit le retrait de l’armée de la zone du conflit. Une première. La rébellion nordiste n’en sera pas pour autant domptée. Au contraire ! Elle se manifestera davantage en synchronisant ses actions avec celles des Touaregs du Niger dans une nouvelle phase éprouvante pour les deux États. C’est la troisième rébellion touarègue. Pour y faire face, le pouvoir de Bamako encouragera la création de milices d’autodéfense composées de populations noires sédentaires et des groupes touaregs loyaux tels que les « Imaghas » du Colonel El Hadj Ag Gamou.  

Cette option informelle de l’État, qui autorise les pratiques peu orthodoxes dans son financement, permettra aux acteurs de l’ombre d’évoluer dans l’interstice d’un monde sans droit amplifiant le phénomène de criminalisation de l’espace Nord du pays. 

L’armée malienne était en réalité très affaiblie par des décennies de négligence. Nantis de nouvelles armes provenant de l’arsenal de Kadhafi, les Touaregs, notamment les « Ifoghas » et leurs alliés les « Adnanes » déclenchent la quatrième rébellion en 2011. Ils conquièrent rapidement quelques villes secondaires telles que Tessalit et Aguelok. Cette dernière localité a été le témoin d’actes barbares contre des prisonniers de l’armée malienne. La tragédie provoquera une onde de choc dans tout le pays. Les femmes de la garnison de Kati organiseront une marche sur le palais de Koulouba, obligeant le président ATT en personne à sortir pour les calmer.   

Le 26 mars 2012, à quelques mois de la fin de son mandat, ATT est victime d’un coup d’État mené par un groupe d’officiers subalternes avec le capitaine Sanogo comme figure de proue. La rupture de la chaine de commandement qui s’en suivit a été le catalyseur d’une conquête foudroyante des principales villes du Nord (Kidal, Tombouctou, Gao) par le MNLA, aussitôt expulsé par les « djihadistes » plus armés et déterminés.  

                                                                                         Hussein Ba 

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