Dans de nombreuses villes africaines, les enfants de la rue sont devenus une image tristement familière. On les voit dormir sur les trottoirs, vendre de petits objets, mendier ou laver des pare-brises pour survivre. Ces jeunes, souvent âgés de moins de 18 ans, vivent dans une précarité extrême, sans famille, sans abri et surtout sans accès à la protection sociale. Pourtant, la plupart des États africains affirment dans leurs constitutions et politiques publiques vouloir protéger tous les enfants. Mais dans la réalité, ceux de la rue demeurent largement exclus de ce système.
Les causes de cette situation sont multiples. Beaucoup d’enfants fuient la pauvreté, les violences familiales ou les conflits armés. D’autres se retrouvent dans la rue à cause de la perte d’un parent ou d’un divorce. Dans certains contextes, comme au Sénégal, la mendicité religieuse contribue aussi au phénomène, notamment à travers les talibés, ces enfants confiés à des maîtres coraniques qui, faute de moyens, les envoient mendier pour leur subsistance. D’après Human Rights Watch, plus de 100 000 enfants mendient chaque jour dans les rues du Sénégal, une réalité partagée par d’autres pays d’Afrique de l’Ouest.
En théorie, ces enfants devraient être protégés par les lois et conventions internationales. La plupart des pays africains ont signé la Convention internationale des droits de l’enfant et la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant, qui garantissent le droit à la santé, à l’éducation et à la sécurité pour tous. Mais en pratique, les enfants de la rue échappent complètement aux dispositifs de protection. N’ayant souvent pas d’acte de naissance, ils n’existent pas officiellement aux yeux de l’État. Ils ne sont pas inscrits à l’école, n’ont pas accès aux soins de santé, et lorsqu’ils subissent des violences ou des abus, ils ne peuvent pas se tourner vers la justice. Les politiques sociales mises en place dans de nombreux pays africains visent plutôt les familles pauvres, les femmes ou les enfants scolarisés, laissant à la marge ceux qui vivent sans foyer.
Les efforts publics pour les réintégrer existent, mais demeurent limités. Certains gouvernements ont mis en place des programmes de réinsertion, des centres d’accueil ou des formations professionnelles. D’autres prévoient des plans nationaux de protection de l’enfance. Cependant, ces politiques se heurtent à un manque criant de moyens financiers. Les budgets consacrés à la protection sociale représentent souvent moins de 6 % des dépenses nationales, selon la Banque mondiale. De plus, la coordination entre les ministères, les ONG et les associations locales reste faible, et la méfiance des enfants envers les institutions rend difficile leur prise en charge.
Face à ces insuffisances, ce sont surtout les organisations non gouvernementales et les associations communautaires qui tentent d’apporter des réponses concrètes. Dans plusieurs pays, des structures comme ENDA Jeunesse Action, Save the Children ou la Undugu Society œuvrent pour accueillir les enfants, leur offrir des soins, une éducation de base et un accompagnement vers la réinsertion familiale. Ces initiatives permettent de sauver des vies, mais elles demeurent fragiles, souvent dépendantes de financements étrangers et limitées en portée.
Pour espérer un véritable changement, il faut aller au-delà des interventions ponctuelles. Les États africains doivent mettre en place des politiques nationales spécifiques à ces enfants, faciliter leur enregistrement civil, et créer des services sociaux de proximité capables d’aller à leur rencontre. Une collaboration étroite entre les pouvoirs publics, les ONG et les communautés locales est également essentielle. Enfin, la société dans son ensemble doit changer son regard sur ces enfants, non pas les considérer comme un problème, mais comme des victimes d’un système social qui les a laissés de côté.
Les enfants de la rue représentent une blessure profonde dans le tissu social africain. Tant qu’ils resteront invisibles aux yeux des décideurs, le continent ne pourra pas prétendre à un développement humain inclusif. Les protéger n’est pas seulement un devoir moral, c’est aussi un investissement pour l’avenir : celui d’une Afrique plus juste, plus solidaire et respectueuse de la dignité de chacun de ses enfants.
