La sécurité alimentaire au Sénégal demeure un défi majeur malgré les atouts agricoles dont dispose le pays. Avec plus de 3,8 millions d’hectares de terres cultivables, un littoral riche en poissons et un climat favorable à plusieurs productions, le Sénégal pourrait théoriquement nourrir sa population. Pourtant, la réalité est marquée par une forte dépendance aux importations. Plus de la moitié du riz consommé sur le territoire, soit environ 1,2 million de tonnes par an, provient de l’étranger. La facture céréalière dépasse régulièrement 300 milliards de francs CFA, tandis que près de 18 % des ménages vivent dans une situation d’insécurité alimentaire modérée ou sévère. Les faiblesses de la production locale, encore largement non mécanisée, les faibles rendements, le manque d’infrastructures de conservation et de transformation expliquent en partie ce paradoxe.
À cela s’ajoute l’impact direct du changement climatique sur le monde rural, où vit près de 45 % de la population. La baisse générale de la pluviométrie, la salinisation croissante des sols dans certaines régions, les inondations récurrentes dans la vallée du fleuve Sénégal ou encore l’avancée de la mer compliquent chaque année la production agricole. Les pertes post-récoltes peuvent atteindre 20 à 30 % selon les filières, aggravant la vulnérabilité des ménages ruraux.
Certaines productions stratégiques, comme le riz, progressent mais restent insuffisantes. Malgré les efforts entrepris à travers le Programme National d’Autosuffisance en Riz, les rendements oscillent encore entre 4 et 6 tonnes par hectare dans les meilleures zones, loin du potentiel disponible. Les cultures traditionnelles comme le mil, le sorgho ou le niébé, pourtant essentielles à l’alimentation des ménages, souffrent d’un accès limité aux semences améliorées et aux engrais. L’horticulture, notamment dans les Niayes, reste dynamique avec plus d’un million de tonnes produites chaque année, mais le manque de conservation frigorifique limite encore son plein essor.
Les ressources halieutiques occupent une place fondamentale dans l’alimentation des Sénégalais, fournissant près de 70 % de leurs apports protéiques. Toutefois, la pression sur le stock de poissons devient préoccupante : surpêche industrielle, pêche illégale, exploitation excessive liée aux usines de farine de poisson et dégradation des écosystèmes marins fragilisent la disponibilité de certaines espèces comme la sardinelle. Pour les populations côtières, cette situation met en danger une source de nourriture essentielle.
Face à ces défis, l’État a multiplié les stratégies au cours de la dernière décennie. Le PRACAS, les subventions en intrants agricoles, le Plan d’Urgence pour la Sécurité Alimentaire et d’autres programmes visent à renforcer la production nationale et la résilience des ménages. Dans le même temps, plusieurs organisations paysannes insistent sur la nécessité d’une modernisation plus poussée des équipements, d’un meilleur accès au crédit agricole, d’une organisation plus efficace du stockage communautaire et d’une amélioration des infrastructures rurales.
Dans un contexte où la population sénégalaise pourrait atteindre 20 millions d’habitants d’ici 2035, la pression sur l’offre alimentaire va s’accentuer. L’urbanisation rapide entraîne une demande croissante pour des produits souvent importés, comme le blé, l’huile ou le lait en poudre, accentuant la dépendance extérieure. Le pays doit donc simultanément moderniser sa production et réduire sa vulnérabilité face aux fluctuations des marchés internationaux.
La souveraineté alimentaire est aujourd’hui présentée comme un objectif stratégique. Pour y parvenir, il faudra investir davantage dans l’irrigation qui ne couvre actuellement que 5 % des terres arables, développer l’agro-industrie locale, améliorer les systèmes de conservation et de transport, diversifier les cultures et encourager l’engagement des jeunes dans l’agrobusiness. La sécurité alimentaire n’est pas seulement une question agricole : elle touche à la stabilité sociale, à la croissance économique et à l’indépendance du pays. Si les défis restent considérables, une modernisation ambitieuse et une gestion plus durable des ressources permettent d’entrevoir des perspectives réelles vers une souveraineté alimentaire durable.
