Depuis une dizaine d’années, le Sénégal est confronté à un problème grandissant : l’accumulation de la dette publique. Bien que les emprunts aient permis de financer de nombreux projets d’infrastructures et de soutenir la croissance économique, la soutenabilité de cette dette devient de plus en plus préoccupante. Le pays se trouve dans une situation délicate, entre le besoin de se développer et le poids croissant du remboursement des emprunts contractés auprès de partenaires étrangers et d’institutions financières.
L’endettement du Sénégal s’est accéléré à partir de 2014, avec le lancement du Plan Sénégal Émergent (PSE), un ambitieux programme de développement visant à moderniser le pays à travers la construction de routes, de ponts, d’autoroutes, de ports, de chemins de fer et d’infrastructures énergétiques. Ces projets ont nécessité d’importants financements, et pour y parvenir, l’État a eu recours à divers types de prêts : certains à conditions avantageuses auprès de bailleurs comme la Banque mondiale ou la Banque africaine de développement, d’autres plus coûteux sur les marchés financiers internationaux à travers des émissions d’eurobonds.
Aujourd’hui, l’ancien régime à laisser le pays à un niveau d’endettement inquiète. La dette publique représente environ 74 % du Produit Intérieur Brut (PIB), contre 48 % en 2015. Cette évolution rapide soulève des questions sur la capacité réelle de l’État à rembourser ses dettes sans compromettre les autres besoins fondamentaux de la population. En effet, plus d’un cinquième du budget national est désormais consacré au remboursement de la dette, ce qui réduit d’autant les moyens disponibles pour les secteurs essentiels comme l’éducation, la santé ou l’emploi.
Cette situation est d’autant plus critique que le Sénégal souffre de plusieurs faiblesses structurelles. La mobilisation des ressources internes est encore insuffisante. Le taux de pression fiscale, c’est-à-dire la capacité de l’État à collecter les impôts, demeure bas, autour de 17 % du PIB, en dessous de la moyenne régionale recommandée. À cela s’ajoute un déficit commercial chronique : le pays importe davantage qu’il n’exporte, ce qui creuse le besoin de devises étrangères et accentue le recours à l’endettement extérieur.
La question de la gouvernance économique se pose également. Des voix s’élèvent pour dénoncer le manque de transparence dans la gestion de certains projets financés par la dette. Des chantiers jugés peu prioritaires ou peu rentables à long terme ont parfois été réalisés au prix d’endettements importants. La dette devient alors non pas un outil de développement, mais un fardeau, surtout lorsque les ressources générées par les investissements ne suffisent pas à rembourser les emprunts.
Face à ce tableau préoccupant, certains placent leurs espoirs dans les découvertes de pétrole et de gaz au large du Sénégal, notamment dans les zones de Sangomar et de Grand Tortue Ahmeyim. Le gouvernement espère que l’exploitation de ces ressources à partir de 2024 ou 2025 générera des recettes suffisantes pour alléger la charge de la dette. Mais ces perspectives restent incertaines : les marchés pétroliers sont volatils, les coûts d’exploitation sont élevés, et rien ne garantit que les revenus attendus profitent réellement au budget national de manière efficace.
Dans ce contexte, plusieurs solutions doivent être envisagées. Il est urgent de mieux encadrer l’endettement, en limitant les emprunts non productifs et en négociant de meilleures conditions de remboursement. Il faut aussi renforcer les recettes fiscales, en élargissant l’assiette fiscale et en luttant contre la fraude. La transparence et l’évaluation rigoureuse des projets d’investissement doivent devenir la norme pour éviter que la dette ne serve à financer des éléphants blancs.
Le Sénégal ne peut pas se permettre de tomber dans le piège de la dette, comme cela a été le cas pour plusieurs pays africains dans les années 1980, contraints de recourir à des plans d’ajustement structurel douloureux. La soutenabilité de la dette n’est pas seulement une question financière ; elle touche directement à la souveraineté du pays, à sa capacité à choisir son destin sans pression excessive des créanciers. Il est donc crucial que la gestion de la dette soit placée au cœur des priorités économiques du Sénégal, dans une logique de responsabilité, de transparence et de vision à long terme.