L’élevage, pilier oublié de l’économie sénégalaise, traverse aujourd’hui une crise profonde. Malgré son rôle crucial dans la vie de millions de Sénégalais, le secteur peine à se moderniser, étouffé par des défis environnementaux, économiques et politiques. Entre désertification, manque d’infrastructures et conflits fonciers, l’avenir des éleveurs est incertain.
Au Sénégal, plus de 30 % de la population vit directement ou indirectement de l’élevage. Du Sahel à la Casamance, des milliers de familles dépendent du bétail pour subvenir à leurs besoins. Le cheptel national est composé de près de 4 millions de bovins, 6 millions de petits ruminants (moutons et chèvres) et plus de 500 000 camélidés, selon les données du ministère de l’Élevage.
Mais derrière ces chiffres encourageants se cache une réalité plus sombre. « Nos troupeaux diminuent, nos terres s’appauvrissent, et les pluies deviennent de plus en plus rares », soupire Mamadou Diallo, éleveur à Linguère. Il résume en quelques mots les difficultés que vivent des milliers de ses pairs à travers le pays.
Le réchauffement climatique est sans doute le défi le plus redoutable pour les éleveurs sénégalais. Dans les régions sahéliennes, jadis riches en pâturages, les terres s’assèchent à une vitesse alarmante. La transhumance, essentielle pour la survie des troupeaux en saison sèche, devient de plus en plus difficile à pratiquer.
À cela s’ajoutent les conflits récurrents entre éleveurs et agriculteurs. « L’espace rural est de plus en plus restreint. Quand les animaux entrent dans les champs, cela dégénère vite », témoigne Aïssatou Ndiaye, agricultrice dans la région de Tambacounda. En 2023, plusieurs affrontements violents ont été enregistrés dans le nord-est du pays, causant des pertes humaines et matérielles.
Autre problème majeur : l’accès aux soins vétérinaires. Faute de moyens, nombre d’éleveurs n’ont pas les ressources pour soigner convenablement leurs animaux. Les campagnes de vaccination sont irrégulières, et les cliniques vétérinaires sont rares, surtout en zone rurale. Résultat : les épizooties (maladies animales) se propagent facilement, affaiblissant davantage un cheptel déjà vulnérable. Si les produits de l’élevage (viande, lait, cuir) ont un fort potentiel économique, la filière reste désorganisée.
Les circuits de commercialisation sont mal structurés, les prix varient fortement, et les éleveurs restent à la merci d’intermédiaires peu scrupuleux. Le Sénégal importe encore une part importante de sa viande et de son lait, faute de production locale suffisante et compétitive.
Les tentatives de transformation industrielle sont peu nombreuses et souvent peu rentables. « Le lait local est collecté de façon artisanale. Faute de chaîne du froid et d’usines, il est difficile à valoriser à grande échelle », explique Fatou Diop, entrepreneure dans l’agroalimentaire à Thiès.
Les autorités sénégalaises ont lancé plusieurs programmes pour dynamiser le secteur : subventions d’aliments pour bétail, projets de modernisation, aménagement de pistes de transhumance, etc. Mais sur le terrain, les retombées sont faibles. Beaucoup d’éleveurs dénoncent une mauvaise répartition des ressources, un manque de concertation avec les acteurs locaux, et une dépendance excessive à l’aide extérieure.
Face à cette situation alarmante, des solutions existent. La modernisation de l’élevage à travers des modèles semi-intensifs, l’accès facilité au financement, la sécurisation du foncier pastoral, et l’intégration des technologies (applications de suivi du bétail, météo, etc.) pourraient redonner espoir à la filière.
Mais pour cela, il faudra plus qu’un engagement de façade : un changement profond de vision, une meilleure gouvernance et une réelle volonté d’impliquer les éleveurs dans la construction de leur avenir.
D’ailleurs la vision 2050 va se baser sur la structuration de la chaine de valeur. Pour que les éleveurs tirent un réel bénéfice de leur travail, il faut développer des unités locales de transformation (fromageries, abattoirs modernes, tanneries) et améliorer les infrastructures de stockage, transport et commercialisation. En parallèle, l’utilisation des technologies numériques (applications de suivi, traçabilité, paiements mobiles) permettra de rendre les échanges plus transparents et plus rentables.
Il faudra aussi prendre en considération La formation et la professionnalisation constituent la plus grande stratégie du secteur. Former les jeunes aux métiers de l’élevage moderne est une priorité. Des centres de formation agro-pastorale devront voir le jour dans toutes les régions, avec un appui spécifique à l’entrepreneuriat féminin. Il s’agit de faire de l’élevage un métier valorisé, générateur de revenus et d’emplois décents
L’élevage sénégalais est à la croisée des chemins. Riche de traditions, ancré dans l’histoire du pays, il pourrait devenir un moteur de développement durable.
En tout cas à l’horizon 2050, si ces réformes sont mises en œuvre de manière concertée, le Sénégal pourrait disposer d’un élevage performant, capable de nourrir sa population, de créer des emplois ruraux, de réduire les importations de produits animaux, et même d’exporter vers les marchés sous-régionaux. Ce secteur, longtemps marginalisé, pourrait ainsi devenir un moteur de transformation économique, sociale et écologique pour le pays. Mais sans réponse rapide et structurée aux défis qu’il affronte, il risque de sombrer dans une crise irréversible. Le temps presse.