Dans les campagnes sénégalaises, l’arachide continue de dicter le rythme des saisons. À l’arrivée des premières pluies, des milliers de producteurs reprennent le chemin des champs, animés par l’espoir d’une bonne récolte. Ce geste ancestral, répété depuis plus d’un siècle, rappelle à quel point l’arachide est bien plus qu’une simple culture : elle est une colonne vertébrale de l’histoire économique et sociale du Sénégal. Longtemps surnommée « l’or brun », elle a façonné les territoires, structuré les sociétés rurales et nourri des générations entières.

Dès le début du XXᵉ siècle, l’arachide s’impose comme la principale culture de rente du pays. À la veille des indépendances, elle représentait près de 60 % des recettes d’exportation agricoles et faisait du Sénégal l’un des premiers producteurs africains. Des régions entières, comme Kaolack, Diourbel, Fatick, Kaffrine et Thiès, se sont organisées autour de cette culture, donnant naissance au vaste bassin arachidier. À cette époque, l’arachide faisait vivre directement ou indirectement plus de 3 millions de personnes, soit une large part de la population nationale.

Aujourd’hui encore, malgré la diversification progressive de l’agriculture, l’arachide reste la première culture pluviale du Sénégal. Chaque année, entre 1,4 et 1,8 million de tonnes sont produites, selon la pluviométrie. La culture mobilise environ 40 % des exploitations agricoles du pays et occupe plus de 1,2 million d’hectares, soit près du tiers des terres cultivées. En milieu rural, elle constitue la principale source de revenus pour des centaines de milliers de ménages, en particulier dans les zones où les alternatives agricoles restent limitées.

Cependant, derrière ces volumes impressionnants se cache une réalité plus contrastée. Les rendements moyens oscillent entre 900 et 1 200 kilogrammes par hectare, alors que le potentiel agronomique est estimé à 2 500 kilogrammes par hectare, voire davantage avec des semences améliorées et une fertilisation adaptée. Cette faible productivité réduit considérablement les revenus des producteurs, dont beaucoup peinent à couvrir leurs coûts de production. Pour nombre d’entre eux, l’arachide demeure une culture de subsistance, fortement dépendante des aléas climatiques.

Dans les foyers sénégalais, l’arachide est omniprésente. Elle constitue l’une des principales sources de protéines végétales du pays et intervient dans la préparation de plats emblématiques comme le mafé ou certaines variantes du thiéboudiène. L’huile d’arachide demeure la plus consommée au Sénégal, avec une demande nationale estimée à plus de 250 000 tonnes par an. À côté de cette consommation domestique, une économie informelle dynamique s’est développée autour de la transformation artisanale : pâte d’arachide, graines grillées, huile produite localement, vendues sur les marchés et le long des routes.

Sur le plan industriel, en revanche, la filière peine à retrouver son dynamisme passé. Les huileries, qui absorbaient autrefois l’essentiel de la production nationale, fonctionnent aujourd’hui en dessous de 30 à 40 % de leurs capacités. En conséquence, une part importante de la récolte est vendue brute. Ces dernières années, les exportations d’arachide non transformée ont fortement augmenté, notamment vers la Chine, qui absorbe parfois plus de 70 % des volumes exportés. Cette orientation prive l’économie nationale d’une valeur ajoutée estimée à plusieurs dizaines de milliards de FCFA par an.

Les difficultés de la filière sont multiples. La dépendance à la pluviométrie rend la culture vulnérable au changement climatique, avec des saisons de plus en plus irrégulières. L’utilisation de semences dégénérées, faute de renouvellement suffisant, entraîne une baisse continue des rendements. L’accès aux engrais reste limité, alors que moins de 35 % des producteurs en utilisent régulièrement. La mécanisation demeure faible, avec un recours encore massif à la traction animale. À cela s’ajoutent les tensions récurrentes autour de la commercialisation. Le prix au producteur, fixé ces dernières années entre 250 et 300 FCFA le kilogramme, est souvent jugé insuffisant au regard des efforts consentis et de l’augmentation du coût des intrants.

Face à ces défis, l’État sénégalais tente de relancer la filière à travers différents programmes agricoles. La distribution de semences certifiées vise à améliorer les rendements, tandis que les subventions aux intrants et à la mécanisation cherchent à alléger les charges des producteurs. Dans le cadre des politiques agricoles récentes, l’objectif affiché est de transformer localement au moins 50 % de la production nationale, afin de créer des emplois, de stabiliser les revenus et de réduire la dépendance aux exportations brutes.

Au-delà des chiffres, l’arachide reste un symbole fort. Elle incarne à la fois la richesse d’un héritage agricole et les limites d’un modèle encore fragile. Sa modernisation apparaît aujourd’hui comme un enjeu stratégique pour le Sénégal, à l’heure où la souveraineté alimentaire, l’industrialisation agricole et la création d’emplois ruraux sont devenues des priorités nationales. Si elle parvient à se réinventer, l’arachide pourrait redevenir non seulement un pilier de l’économie rurale, mais aussi un moteur durable du développement national.

 

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