L’Afrique vit aujourd’hui l’une des plus grandes crises écologiques de son histoire : l’avancée inexorable du désert. Ce phénomène, connu sous le nom de désertification, s’étend silencieusement, transformant peu à peu des terres autrefois fertiles en zones arides et stériles. Ce n’est plus une menace lointaine : c’est une réalité qui grignote les espaces vitaux du continent, bouleverse les modes de vie et met en péril la survie de millions d’habitants.
Dans la vaste bande sahélienne, qui s’étire du Sénégal à Djibouti, les effets du changement climatique sont visibles à l’œil nu. Le Sahara, déjà le plus grand désert chaud du monde, avance chaque année de plusieurs kilomètres vers le sud. Là où poussaient jadis des herbes folles et des arbres épineux, il ne reste souvent qu’un sol craquelé, brûlé par le soleil et balayé par le vent. Selon le Programme des Nations unies pour l’environnement, près de 45 % des terres africaines sont aujourd’hui menacées par la désertification. Le phénomène est particulièrement marqué au Sahel, une région fragile, soumise à une augmentation rapide des températures, à une raréfaction des pluies et à des cycles de sécheresse de plus en plus sévères.
Les causes de cette avancée du désert sont multiples et profondément imbriquées. Le changement climatique joue bien sûr un rôle majeur : la hausse des températures accentue l’évaporation, réduit l’humidité des sols et perturbe les régimes de pluie. Mais l’action humaine n’est pas en reste. La déforestation, par exemple, détruit chaque année des millions d’hectares de forêts africaines. Dans de nombreux villages, le bois reste la principale source d’énergie domestique ; or, en coupant les arbres sans replanter, on prive les sols de leur couverture naturelle. Sans racines pour les maintenir, les terres s’effritent, s’assèchent et se transforment en poussière.
À cela s’ajoutent le surpâturage, la surexploitation agricole et la mauvaise gestion de l’eau. Sous la pression démographique, les paysans cultivent les mêmes sols sans leur laisser le temps de se régénérer. Les troupeaux, trop nombreux, broutent les rares herbes qui subsistent. L’eau, mal répartie ou mal gérée, s’évapore ou s’enfuit, laissant derrière elle des terres salées et improductives. Ces pratiques, souvent dictées par la pauvreté et le besoin de survivre au jour le jour, accélèrent la dégradation des écosystèmes.
Les conséquences de cette situation sont dramatiques. Chaque année, environ trois millions d’hectares de terres arables disparaissent sous l’effet de la désertification. Dans les campagnes, les paysans voient leurs récoltes diminuer et leurs pâturages se raréfier. La faim, la soif et la misère poussent alors des familles entières à quitter leurs villages pour rejoindre les villes ou migrer vers d’autres régions. Ce mouvement d’exode rural alimente les tensions sociales et accentue la pauvreté urbaine. En outre, la raréfaction de l’eau et des terres fertiles provoque des conflits entre agriculteurs et éleveurs, notamment dans les zones sahéliennes. L’avancée du désert devient ainsi non seulement une crise écologique, mais aussi une menace pour la paix et la stabilité du continent.
Pourtant, malgré l’ampleur du drame, des signes d’espoir émergent. L’Afrique n’est pas restée passive face à cette tragédie silencieuse. Depuis 2007, l’Union africaine a lancé le projet de la Grande Muraille Verte, un ambitieux programme visant à restaurer cent millions d’hectares de terres dégradées d’ici 2030, sur une bande de huit mille kilomètres de long et quinze kilomètres de large, du Sénégal à Djibouti. Cette initiative symbolise la volonté des États africains de reconquérir leurs terres et de redonner vie au Sahel. Au Sénégal, par exemple, plus de vingt-cinq mille hectares ont déjà été reboisés dans les régions de Louga, Matam et Kaffrine. Ces zones, autrefois arides, commencent à reverdir grâce aux efforts conjoints des communautés locales, des ONG et des institutions publiques.
Mais la renaissance de la terre passe aussi par la redécouverte de savoirs anciens. Dans de nombreux villages du Niger, du Burkina Faso ou du Mali, les paysans reviennent à des techniques traditionnelles d’adaptation. Les « zaï », petites cuvettes creusées dans le sol pour retenir l’eau de pluie, permettent de redonner vie à des champs abandonnés. Les cordons pierreux, placés sur les pentes, freinent l’érosion et favorisent la rétention d’humidité. Ces pratiques simples, peu coûteuses et respectueuses de l’environnement, montrent qu’il est possible d’inverser le processus de désertification à l’échelle locale.
L’éducation et la sensibilisation jouent également un rôle crucial. De plus en plus de jeunes Africains s’engagent dans la protection de l’environnement, créent des associations écologiques et participent à des campagnes de reboisement. Les femmes, souvent en première ligne face aux effets de la dégradation des terres, deviennent des actrices de la transformation écologique : elles gèrent les pépinières, replantent des arbres, protègent les points d’eau et transmettent aux générations futures la culture du respect de la nature.
L’avancée du désert en Afrique n’est donc pas une fatalité. C’est un avertissement, mais aussi un appel à l’action. La terre, si elle est blessée, peut guérir. Les efforts de reforestation, la gestion durable des ressources naturelles, la promotion des énergies renouvelables et la coopération régionale peuvent transformer cette crise en une opportunité de renaissance. L’Afrique, berceau de l’humanité, peut devenir aussi le berceau d’une nouvelle écologie du vivant, où l’homme réapprend à vivre en harmonie avec la nature.
Ainsi, face à la sécheresse et à la poussière, face à la souffrance de la terre, un souffle d’espérance se lève. Là où le désert avance, des mains plantent des graines. Là où le sable recouvre tout, des femmes et des jeunes bâtissent des digues, des haies et des rêves. L’Afrique, meurtrie mais vivante, continue de se battre pour que la vie, encore une fois, triomphe du vide.