L’Afrique de l’Ouest occupe une place centrale dans les équilibres géopolitiques du continent africain. Cette région composée de quinze pays et regroupée au sein de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) compte aujourd’hui plus de 430 millions d’habitants, soit près d’un tiers de la population africaine. Elle est également l’une des zones du monde où la croissance démographique est la plus rapide : selon les projections des Nations unies, la population pourrait dépasser 800 millions d’ici 2050. Cette dynamique, combinée à une urbanisation galopante qui pourrait faire vivre plus de la moitié des habitants en ville dès 2030, représente autant une force qu’un défi en matière d’emplois, de services sociaux et de gouvernance.

Depuis les années 1990, la région a connu une vague de transitions démocratiques qui semblait annoncer un tournant décisif pour la gouvernance du continent. Mais cet élan a été brisé par une succession de coups d’État. Entre 2020 et 2023, le Mali, la Guinée, le Burkina Faso et le Niger ont basculé sous la direction de régimes militaires, touchant directement plus de 110 millions de personnes, soit près du quart de la population de la CEDEAO. Cette instabilité politique a mis en difficulté l’organisation régionale, dont les sanctions, telles que la fermeture des frontières ou le gel des transactions financières, ont entraîné une contraction estimée à plus de 10 % du commerce régional en 2022, selon la Banque africaine de développement.

Parallèlement à ces bouleversements institutionnels, la sécurité est devenue la principale préoccupation des populations. La bande sahélienne, qui s’étend du Mali au Niger en passant par le Burkina Faso, est aujourd’hui l’un des foyers d’insécurité les plus préoccupants au monde. Les attaques menées par des groupes armés affiliés à Al-Qaïda ou à l’État islamique y sont fréquentes et meurtrières. En 2023, le Burkina Faso et le Mali ont enregistré à eux seuls plus de 5 000 morts liés au terrorisme, selon l’Institut d’économie et de paix. Les conséquences humanitaires sont considérables, avec plus de 3,2 millions de déplacés internes recensés dans ces trois pays sahéliens. Les gouvernements, contraints de consacrer environ 20 % de leur budget national aux dépenses militaires, le font souvent au détriment des investissements sociaux.

Mais cette région n’est pas seulement synonyme de crises. Elle regorge de richesses naturelles qui attisent les convoitises et redessinent les rapports de force. Le Nigéria, premier producteur de pétrole du continent, extrait environ 1,4 million de barils par jour en 2024, ce qui représente près de 90 % de ses exportations. Le Niger est quant à lui le quatrième producteur mondial d’uranium, avec plus de 2 000 tonnes extraites en 2022, une ressource stratégique pour l’industrie nucléaire mondiale. Le Mali et le Burkina Faso figurent parmi les vingt premiers producteurs d’or, ce métal représentant 75 % des exportations maliennes. Quant à la Côte d’Ivoire et au Ghana, ils assurent ensemble près de 60 % de la production mondiale de cacao. Ces richesses, loin d’apporter la prospérité attendue, entretiennent souvent les tensions et les inégalités, car la région reste marquée par une pauvreté structurelle. Le PIB par habitant dépasse rarement 2 000 dollars en parité de pouvoir d’achat, alors que le chômage touche plus de 30 % des jeunes.

Dans ce contexte, les rivalités internationales s’intensifient. La Chine est désormais le premier partenaire commercial de l’Afrique de l’Ouest, avec plus de 50 milliards de dollars d’échanges en 2023, principalement dans les infrastructures. La Russie a renforcé sa présence, surtout au Mali et au Burkina Faso, en concluant des accords militaires et en déployant des sociétés de sécurité privées. La France, longtemps puissance dominante, a réduit son empreinte militaire après le retrait de l’opération Barkhane en 2022, mais demeure au cœur des débats politiques, souvent contestée par des opinions publiques de plus en plus hostiles. Les États-Unis et l’Union européenne, de leur côté, injectent chaque année plus de 8 milliards de dollars d’aide publique au développement et poursuivent leur coopération sécuritaire.

Face à ces recompositions, l’intégration régionale peine à trouver un souffle. Le projet de monnaie unique, l’ECO, censé symboliser la souveraineté économique et renforcer la cohésion, a été plusieurs fois reporté, son lancement étant désormais prévu pour 2027. Dans le même temps, de nouvelles alliances voient le jour, comme l’Alliance des États du Sahel (AES), formée par le Mali, le Burkina Faso et le Niger, qui revendique une rupture avec la CEDEAO et cherche à affirmer une autonomie politique et stratégique face aux influences extérieures.

Ainsi, l’Afrique de l’Ouest apparaît aujourd’hui à la croisée des chemins. Avec ses 430 millions d’habitants, ses richesses abondantes et sa position stratégique, elle incarne à la fois un espace d’opportunités et un foyer de vulnérabilités. Entre coups d’État, insécurité chronique, dépendance économique et compétition entre grandes puissances, son avenir dépendra de la capacité des États à stabiliser leurs régimes, à gérer leurs ressources de manière équitable et à renforcer une intégration régionale encore fragile. L’équilibre de cette région déterminera en grande partie celui du continent africain dans les décennies à venir.

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