Le Sénégal, avec ses 718 kilomètres de côtes bordant l’océan Atlantique, dispose d’une zone maritime riche en ressources halieutiques. Ce littoral, longé par des courants favorables à la reproduction des poissons, constitue depuis des siècles une source de vie pour les communautés côtières. Aujourd’hui encore, la pêche représente une activité centrale dans l’économie et la culture sénégalaises. Selon les données officielles du ministère des Pêches, ce secteur emploie directement ou indirectement près de 600 000 personnes, soit environ 17 % de la population active.
La pêche artisanale, pratiquée avec des pirogues motorisées ou à pagaies, prédomine avec plus de 90 % des débarquements totaux. À elle seule, elle produit en moyenne 430 000 tonnes de poissons par an. Ces prises comprennent des espèces comme la sardinelle, le thiof (mérou), le capitaine, le mulet ou encore le yét (poulpe), très prisés sur les marchés locaux et internationaux. La pêche industrielle, bien que technologiquement plus avancée, ne représente qu’environ 10 % des captures, mais elle est largement contrôlée par des intérêts étrangers.
D’un point de vue économique, la pêche génère plus de 200 milliards de francs CFA par an, et contribue à environ 3,2 % du PIB national. Les produits halieutiques représentent environ 15 % des exportations du Sénégal, faisant du secteur un pilier essentiel des recettes en devises. Les marchés européens (France, Espagne, Italie), asiatiques (Chine, Japon) et africains (Côte d’Ivoire, Nigéria) sont les principaux importateurs du poisson sénégalais. Le port de Dakar, principal hub de transformation et d’exportation, voit transiter des milliers de tonnes de poissons chaque année.
Mais derrière cette richesse apparente, se cache une crise profonde et silencieuse. Depuis les années 2000, les ressources halieutiques connaissent un déclin alarmant. Les captures de certaines espèces comme la sardinelle ont chuté de plus de 40 % en 15 ans, et le thiof, autrefois abondant, est devenu quasi introuvable dans certaines zones. Cette raréfaction s’explique principalement par la surpêche, la pêche illicite, non déclarée et non réglementée (INN), mais aussi par les accords de pêche signés avec des flottes étrangères, notamment européennes, russes, turques et chinoises. Ces accords, bien que légaux, sont souvent critiqués pour leur manque de transparence et leur impact environnemental.
Par ailleurs, le réchauffement climatique commence à affecter les écosystèmes marins. La montée de la température des eaux, couplée à l’acidification des océans, modifie les circuits migratoires de nombreuses espèces. Certaines, comme le mulet ou le bar, se déplacent vers le nord, rendant leur accès plus difficile pour les pêcheurs locaux.
Les conséquences sociales de cette crise sont visibles dans les quartiers de pêcheurs comme Guet-Ndar à Saint-Louis, Yoff, Mbour, Cayar ou encore Joal-Fadiouth. Le manque de poissons, la baisse des revenus, l’instabilité du prix du carburant, et l’absence d’un système de sécurité sociale ont plongé de nombreuses familles dans la précarité. Chaque année, des dizaines de jeunes pêcheurs vendent leur matériel ou quittent la mer pour tenter l’aventure vers l’Europe, souvent à bord de ces mêmes pirogues, transformées en embarcations de fortune.
Des initiatives tentent toutefois de renverser la tendance. Le Sénégal a mis en place plusieurs aires marines protégées (AMP), notamment à Joal-Fadiouth, Bamboung ou Sangomar, dans l’espoir de restaurer la biodiversité marine. Des coopératives de pêcheurs, soutenues par des ONG ou des programmes internationaux, promeuvent la pêche durable, l’usage de filets sélectifs, et la valorisation locale du poisson par la transformation (séchage, fumage, congélation, filetage). L’État sénégalais, de son côté, tente de renforcer le système de surveillance maritime, mais les moyens humains et logistiques restent limités face à l’ampleur du défi.
Enfin, l’industrialisation de la pêche demeure un enjeu clé. Le pays exporte une grande partie de ses ressources sous forme brute, alors qu’une meilleure transformation locale permettrait de créer des milliers d’emplois supplémentaires. Par exemple, le secteur de la transformation artisanale emploie déjà environ 60 000 femmes sur les côtes, principalement dans le séchage ou le fumage du poisson.
En tout cas, la pêche au Sénégal est à la croisée des chemins. Elle incarne à la fois une richesse immense et une vulnérabilité profonde. Si rien n’est fait pour mieux gérer les ressources marines, améliorer la gouvernance, impliquer les communautés locales et renforcer la transformation locale, le pays risque de perdre l’un de ses principaux leviers de développement. D’ailleurs avec la vision 2050, le Sénégal ne sera plus seulement un pays pêcheur, mais un pays maritime maître de son destin halieutique. La pêche aura retrouvé sa fonction nourricière, son poids économique, sa force d’emploi et son rôle culturel. Mais cette ambition exige, dès aujourd’hui, des choix courageux, une planification rigoureuse et une gouvernance inclusive. Car la mer n’attend pas : elle récompense les peuples qui la respectent, et punit ceux qui l’épuisent.