Au Sénégal, la microfinance ne se résume pas à une simple activité financière : elle incarne une dynamique sociale, un levier de transformation silencieuse mais profonde, en particulier pour les femmes. Dans un pays où seulement 32 % des adultes disposent d’un compte bancaire formel selon les dernières données de la Banque Centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), la microfinance a comblé un vide immense laissé par les banques classiques. Elle s’adresse aux populations exclues du circuit traditionnel : femmes, travailleurs de l’informel, agriculteurs, jeunes et populations rurales.

Parmi ces groupes, les femmes occupent une place centrale. En 2023, plus de 68 % des clients des institutions de microfinance (IMF) au Sénégal étaient des femmes, selon l’Observatoire de la qualité des services financiers (OQSF). Ce chiffre n’est pas anodin : il traduit à quel point la microfinance est devenue un outil majeur d’émancipation économique pour les Sénégalaises, longtemps marginalisées dans les sphères économiques et décisionnelles.

Historiquement, les femmes sénégalaises sont fortement impliquées dans le secteur informel, qui représente environ 96 % des unités économiques du pays selon l’ANSD. Elles y exercent comme commerçantes, transformatrices de produits locaux, restauratrices, ou artisanes. Toutefois, elles rencontrent de multiples obstacles à l’accès au crédit formel : absence de garantie, faibles revenus, analphabétisme (qui touche encore environ 48 % des femmes adultes, contre 29 % chez les hommes), et normes sociales restrictives.

Face à cette exclusion, la microfinance a apporté une réponse concrète. Grâce à des prêts de petits montants, accessibles sans garantie physique, des milliers de femmes ont pu démarrer ou développer une activité génératrice de revenus. Par exemple, dans les programmes de l’ACEP Sénégal ou de PAMECAS, les montants initiaux prêtés vont souvent de 25 000 à 200 000 FCFA, avec des taux d’intérêt moyens variant de 12 % à 28 % selon la durée et le type d’activité financée.

Ces microcrédits ont des effets immédiats. Ils permettent l’achat de matériel, l’approvisionnement en stock, la diversification des produits, ou encore l’accès à des équipements de transformation. Les retombées sont palpables : amélioration du revenu familial, scolarisation des enfants, prise en charge des dépenses de santé, amélioration du logement, etc. D’après une étude menée en 2022 par l’ONG ENDA Graf, 85 % des femmes ayant bénéficié d’un microcrédit déclaraient avoir connu une amélioration de leur situation économique au bout de six mois.

Au-delà de l’économie, la microfinance modifie aussi le rapport des femmes à leur environnement. Elles prennent des décisions économiques, gèrent un budget, investissent, épargnent. Certaines deviennent des modèles dans leur communauté, voire des leaders locaux. Dans la région de Thiès, par exemple, un programme de la DER/FJ (Délégation à l’Entrepreneuriat Rapide des Femmes et des Jeunes) a permis à plus de 4 000 femmes d’accéder à des crédits compris entre 300 000 et 2 000 000 FCFA, assortis de formations à la gestion d’entreprise.

Cependant, les limites du système sont bien réelles. L’un des défis majeurs est celui des taux d’intérêt élevés, parfois dissimulés dans des frais annexes. Pour une femme dont le chiffre d’affaires est de 50 000 FCFA par semaine, un remboursement mensuel de 30 000 FCFA sur 6 mois représente un effort considérable, surtout sans accompagnement. Le taux de portefeuille à risque (PAR > 90 jours) est estimé à environ 7,8 % en 2023, ce qui indique une fragilité dans le remboursement des prêts.

Autre problème : le surendettement. En l’absence d’un fichier de crédit consolidé, certaines femmes contractent plusieurs prêts auprès d’institutions différentes. Selon une étude conjointe menée en 2021 par l’OQSF et le PNUD, près de 17 % des femmes clientes de la microfinance avaient au moins deux prêts en cours, parfois sans pouvoir les rembourser. Cette situation engendre du stress, une instabilité financière, et dans certains cas, une marginalisation sociale renforcée.

En outre, l’éducation financière reste insuffisante. Beaucoup de femmes clientes n’ont jamais reçu de formation en gestion, en comptabilité, ou même en lecture des conditions de prêt. Cela accroît leur vulnérabilité face à des pratiques peu transparentes ou des décisions risquées. Des programmes pilotes, comme ceux de Baobab Sénégal ou de l’ONG FemmeDév, intègrent désormais des modules d’alphabétisation financière, avec des résultats positifs sur la viabilité des projets et la stabilité du remboursement.

Enfin, les inégalités de genre restent un frein. Dans certaines zones rurales, les femmes n’ont pas le contrôle total sur les prêts qu’elles obtiennent : maris, frères ou oncles peuvent imposer leur pouvoir sur les fonds. Cela remet en question l’objectif d’autonomisation, et rappelle que la microfinance ne peut à elle seule déconstruire les normes patriarcales.

Pour faire face à ces limites, des pistes prometteuses sont explorées. La digitalisation des services financiers, par exemple, permet une meilleure traçabilité, une réduction des coûts et un accès élargi. Des applications mobiles comme YUP, Wave, ou Orange Money permettent à des milliers de femmes, même analphabètes, de gérer leurs finances via des interfaces vocales ou symboliques. En 2023, près de 38 % des utilisatrices de services d’argent mobile au Sénégal étaient des femmes rurales, un chiffre en progression constante.

En conclusion, la microfinance représente un outil puissant d’émancipation des femmes au Sénégal, à condition qu’elle s’inscrive dans une démarche globale : éducation financière, accompagnement technique, digitalisation, mais aussi transformation sociale. Avec La Vision 2050 du Président Bassirou Diomaye Faye sur la microfinance n’est pas seulement une politique de crédit de proximité : c’est un outil de transformation sociale, de souveraineté économique et de justice sociale. Elle ambitionne de réconcilier finance et développement, et de faire de la microfinance un pilier central du Sénégal de demain, fondé sur l’équité, l’autonomie et la dignité économique. Cela permettra à des milliers de femmes de sortir de l’ombre, de bâtir des projets, de se faire une place dans l’économie. Mais pour qu’elle tienne toutes ses promesses, il faudra continuer à repenser ses modèles, à écouter les femmes concernées, et à placer leur autonomie au cœur des priorités nationales.

 

Laisser une réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Articles associés