Le phosphate constitue l’un des piliers de l’économie minière du Sénégal. Exploité depuis l’époque coloniale, ce minerai essentiel à la fabrication des engrais joue un rôle stratégique tant pour l’économie nationale que pour l’agriculture mondiale. Avec des réserves estimées à plus de 100 millions de tonnes, le Sénégal fait partie des rares pays africains dotés d’un sous-sol aussi riche en phosphates naturels. Toutefois, derrière cette richesse se cachent de nombreux défis : absence d’industrialisation et frustration des communautés locales.

L’exploitation du phosphate au Sénégal remonte au début du XXe siècle, sous l’administration coloniale française. Dès 1946, les gisements de Taïba, situés dans la région de Thiès, entrent en exploitation industrielle. Le phosphate sénégalais est alors exporté vers la France et d’autres colonies pour alimenter les besoins en engrais des agricultures européennes. À l’indépendance en 1960, l’État sénégalais crée les Industries Chimiques du Sénégal (ICS) afin de nationaliser la gestion des mines.

Au fil des décennies, le phosphate devient l’un des principaux produits d’exportation du pays, avec des pics de production atteignant 2 millions de tonnes par an dans les années 1980. Toutefois, des difficultés de gestion et un manque de modernisation technologique entraînent une baisse progressive de la production. Ce n’est qu’en 2014, avec la reprise des ICS par le groupe indien Indorama, que l’activité reprend de manière significative.

Le Sénégal dispose de plusieurs gisements répartis sur son territoire. Les plus anciens se trouvent à Taïba, Lam-Lam et Pallo, dans la région de Thiès. Ce sont des gisements de phosphate de chaux, faciles à extraire à ciel ouvert. Plus récemment, de vastes réserves de phosphate alumineux ont été découvertes dans la région de Matam, notamment à Ndendory et Kanel, dans le nord-est du pays. Ce type de phosphate est plus complexe à traiter, mais il offre un potentiel de production à long terme.

Les ICS exploitent aujourd’hui un ensemble industriel intégré, comprenant des mines à Taïba, une unité de transformation chimique à Darou, et un port d’exportation à Dakar. En 2023, le Sénégal a produit près de 1,6 million de tonnes de phosphate brut, dont une grande partie est transformée sur place en acide phosphorique destiné à l’export, notamment vers l’Inde.

En termes économiques, le phosphate contribue à près de 3 % du PIB sénégalais. En 2022, les exportations de phosphate et de ses dérivés ont généré plus de 300 millions de dollars, selon les chiffres de la BCEAO. Le principal marché d’exportation reste l’Inde, qui achète environ 70 % de l’acide phosphorique produit au Sénégal. La Chine, le Brésil et certains pays d’Afrique de l’Ouest complètent les débouchés.

L’industrie de phosphate fournit environ 3 000 emplois directs, principalement dans les régions de Thiès et Matam. Elle soutient aussi plusieurs milliers d’emplois indirects dans le transport, la logistique, la restauration, ou les services aux entreprises. Cependant, les syndicats et les organisations de la société civile dénoncent régulièrement la précarité des emplois, les conditions de travail difficiles, et la marginalisation des populations locales dans la répartition des bénéfices.

Face aux critiques, le gouvernement sénégalais a adopté en 2023 un nouveau Code minier, visant à améliorer la transparence, renforcer les obligations sociales et environnementales des entreprises minières, et encourager la transformation locale des ressources. L’objectif affiché est de passer d’un modèle extractif tourné vers l’export à une industrialisation locale axée sur la production d’engrais pour l’agriculture sénégalaise et ouest-africaine.

Dans cette perspective, les ICS, avec le soutien de la Banque Africaine de Développement (BAD), ont lancé un projet d’extension visant à produire 1 million de tonnes d’engrais par an d’ici 2027. Cela pourrait contribuer à réduire la dépendance du Sénégal aux engrais importés, qui coûtent chaque année plus de 150 millions de dollars au pays

Le phosphate représente une opportunité stratégique pour le Sénégal, à condition qu’il soit mieux géré. L’État, les entreprises, les communautés locales et la société civile doivent collaborer pour faire de cette ressource un levier de développement durable, et non un facteur de déséquilibres sociaux. En tout cas la Vision Sénégal 2050 ambitionne de transformer Matam en un centre névralgique de l’industrie des phosphates, en misant sur la transformation locale, la formation et l’innovation, afin de stimuler le développement économique régional et national. Car si le phosphate peut nourrir les terres agricoles du monde entier, il doit nourrir celles du Sénégal.

 

 

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